Une multitudes d'applications pour les produits d'insectes comestibles

Du surcyclage de résidus organiques à la production de fertilisants, en passant par la production d'ingrédients de qualité pour l'alimentation humaine et animale, les insectes comestibles offrent un éventail de possibilité quant à leur utilisation.  Découvrez les applications qui en découlent dans les onglets qui suivent. 

Applications

Certaines espèces d’insectes peuvent être élevées sur une vaste gamme de déchets et de sous-produits et valoriser des résidus qui seraient traditionnellement éliminés par les industries agricoles et alimentaires. Au cours de la dernière décennie, un certain nombre de technologies industrielles d'élevage d'insectes ont été développées et commercialisées, tant en Amérique du Nord que sur les continents européens, asiatiques et africains. Notre groupe travaille avec certaines entreprises utilisant ces technologies (Aspire, Enterra, Entosystems, Protix, Sanimax, Tricycle) pour développer de nouvelles possibilités de surcyclage des résidus organiques au sein des secteurs agroalimentaires canadiens.  

 

Dans un contexte où la population est de plus en plus préoccupée par l’impact écologique des aliments qu’elle consomme, les productions animales sont bien souvent pointées du doigt. Parmi les reproches qu’on peut leur attribuer, on trouve l’utilisation élevée de ressources (eau, terres) pour produire les ingrédients servant à l’alimentation du bétail. Ces ingrédients peuvent aussi être associés à une perte de biodiversité. En ce sens, les insectes comestibles pourraient représenter une alternative plus durable. Des initiatives industrielles émergent de toute part à l'échelle mondiale pour intégrer les insectes à la diète des animaux d’élevage. Au Canada, les produits d'insectes ont reçu leurs premières accréditations par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) pour l'alimentation de la volaille et des poissons. Le Québec n'est pas en reste avec plus d'une quarantaine d'entreprises actives ou en démarrage. L’Association des éleveurs et transformateurs d’insectes du Québec (AÉTIQ) a vu le jour à l’été 2019. 

Actuellement, les tourteaux de soya et farines de poissons servent le plus couramment de sources protéiques dans l’alimentation des porcs et des poulets. Toutefois, la durabilité de leur utilisation est remise en question, en conséquence aux grands volumes de production qui sont désormais requis pour répondre à la demande accrue en ces ingrédients. En effet, ces produits peuvent avoir des impacts écologiques considérables. Les cultures intensives de soya occupent de larges superficies de terres arables et peuvent mener à la dégradation des sols, des cours d’eau et à la déforestation (Spranghers et al., 2018). Pour leur part, les farines et huiles de poissons sont issues de l’industrie de la pêche, qui contribue à l’épuisement drastique des ressources de poissons pélagiques des Océans. De plus, le prix des farines et huiles de poissons a augmenté considérablement en réponse à cette pression environnementale, ce qui s’ajoute aux coûts de production des élevages (Yu et al., 2020). Une hausse importante des prix des produits de soya a également été observée au cours des dernières années, ce qui en fait une source de protéines de moins en moins abordables. (De Marco et al., 2015). On cherche donc à réduire la dépendance à ceux-ci et à leur trouver des ingrédients alternatifs pour les remplacer dans l’alimentation. Dans l’optique d’assurer une sécurité alimentaire à l’échelle planétaire, on peut aussi mettre en doute l’efficacité de leur utilisation pour nourrir des animaux alors qu’il s’agit de ressources qui pourraient aussi bien être consommées directement par des humains. 

Par leurs apports en nutriments et leur aspect écologique, les insectes ont le potentiel de remplacer une partie de ces ingrédients problématiques dans l’alimentation du bétail. En effet, ils sont une source de protéines, mais également de gras et de vitamines et minéraux (Gasco et al., 2019). La valeur nutritionnelle des farines d’insectes est comparable à celles des tourteaux de soya et farines de poissons (Veldkamp et al., 2012). La chitine entre aussi dans la composition des farines d’insectes entières. Reconnue pour ses propriétés bactériostatiques, la chitine peut avoir des effets bénéfiques sur la santé des animaux qui en consomme malgré sa faible digestibilité chez les monogastriques.  

Sur le plan environnemental, on peut aussi considérer que les farines d’insectes ont un impact moindre que les farines de poissons et tourteaux de soya. Cela s’explique en partie parce que l’élevage industriel des insectes nécessite l’utilisation de beaucoup moins de terres que des cultures comme le soya (Spranghers et al., 2018) et moins d’énergie, ce qui limite leur empreinte environnementale (De Marco et al., 2015). Elles pourraient contribuer à améliorer la durabilité des élevages de porcs et poulets lorsqu’utilisées alternativement à ces ingrédients conventionnels (Gasco et al., 2019). Également, certaines espèces d’insectes saprophages comme les larves de mouches soldats noires, de mouches domestiques et de ténébrions meuniers ont la capacité de se nourrir de matières organiques résiduelles de l’industrie agroalimentaire. En y récupérant les nutriments pour croître, ils permettent leur valorisation (Spranghers et al., 2018). Les insectes sont par conséquent des ingrédients à haute valeur nutritive, riches en protéines de qualité et leur impact environnemental moindre que d’autres sources de protéines conventionnelles. 

Néanmoins, on peut se questionner quant à l’impact de l’inclusion d’insectes à la diète des animaux d’élevage sur leur santé et leurs performances. La croissance des animaux et leur rendement s’en trouveraient-ils affectées si une partie ou l’entièreté des ingrédients protéiques de leur ration était remplacée par des larves de mouches soldats noires par exemple? La capacité des animaux à consommer des insectes et à en tirer les éléments pour répondre à leurs besoins physiologiques varie d’une espèce à l’autre. Les poissons, les volailles comme le poulet, les porcs et les ruminants comme les vaches ont des particularités anatomiques qui les distinguent quant à la nature et aux apports de produits d’insectes qui peuvent être intégrés à leur diète. Les applications qui résultent de l’utilisation des insectes comestibles pour chacune de ces espèces seront donc présentées : 

  • Poulets de chair et poules pondeuses 

Les insectes font partie de l’alimentation naturelle de plusieurs oiseaux insectivores à l’état sauvage. Dans un contexte d’élevage, les volailles ayant accès à l’extérieur vont gratter et picorer le sol à la recherche de vers et de petits insectes. L’idée de les réintégrer à leur diète est donc loin d’être saugrenue. Ainsi, plusieurs études se sont penchées sur la faisabilité de l’inclusion d’insectes comestibles sous forme de farine à l’alimentation des poulets de chairs et des poules pondeuses. Dans plusieurs cas, il a été démontré qu’il est possible de remplacer partiellement le tourteau de soya dans la ration de poulets de chair en croissance par des farines de larves de mouches soldats noires en partie ou entièrement dégraissées. À des inclusions variant de 5 à 10% de la diète, il en découle une amélioration de la composition du microbiote caecal et de la production de mucus intestinal (Biasato et al. 2020) de même qu’une prise alimentaire, un gain moyen quotidien augmenté dans le cas de poulets de chair mâles (Dabbou et al., 2018). À 15% d’inclusion, les performances des poulets de chair se trouvent inchangées quant à la croissance, la qualité de chair et à la digestibilité de la protéine par rapport à une diète à base de tourteaux et d’huiles de soya (Cullere et al., 2018). Il en va de même pour les qualités organoleptiques de la viande issue de ces poulets, avec des arômes, des saveurs, une jutosité, un pH, des couleurs et une composition similaire peu importe la diète consommée (Pieterse et al., (2019). De plus, les poulets ne manifestent pas de préférence entre une diète à base farines de mouches soldats noires ou de tourteaux de soya à une inclusion de 15% (Cullere et al., 2018). Toutefois, au-delà de cette valeur, la diversité du microbiote intestinal des oiseaux peut s’en trouver réduite et des bactéries à activités mucolytiques vont être favorisées, ce qui réduit la viscosité du mucus et par le fait même son efficacité à capter les pathogènes et favoriser leur expulsion (Biasato et al., 2020). La conversion alimentaire et la morphologie des villosités intestinales s’en trouvent aussi affecté négativement (Dabbou et al, 2018). Ceci peut entre autres s’expliquer par l’élévation simultanée de la consommation de chitine à des taux d’inclusion supérieurs, ce composé réduisant la digestibilité des protéines dans l’aliment et ayant des effets bactériostatiques.  

Dans le cas des poules pondeuses, la consommation de farines d’insectes pourrait non seulement avoir des effets bénéfiques sur leur développement, mais aussi sur la qualité des œufs produit. Ceci a été observé dans le cas Secci et al., (2018) dans laquelle des poules ont été nourries sur une courte période de 21 jours d’une diète où le tourteau de soya a été remplacé par des farines de larves de mouches soldats noires, à une inclusion de 17%. Les jaunes des œufs pondus par ces poules étaient plus gros et plus orangés et leur contenu en cholestérol a chuté de 11%. Des inclusions aussi élevées pourraient cependant affecter les performances des poules. En effet, dans une autre étude où la diète était composée à 17% de farines de larves de mouches soldats noires dégraissées, les poules pondeuses ont vu leur prise alimentaire et leur croissance chuter après 21 semaines. Leurs œufs étaient aussi plus petits. Ruhnke et al. (2018) a pour sa part constaté que lorsque des poules élevées en liberté avaient accès à volonté à des larves entières séparément de leur diète, leur taux de consommation était de 16%. Ces ingrédients sont donc bien acceptés par les poules. Des effets bénéfiques en ont aussi découlé sur la ponte (constance et taux de ponte) sur une période de 6 semaines. Toutefois, après 12 semaines, le poids des œufs devenait réduit, les jaunes plus pâles et les coquilles cassantes. Cela pourrait indiquer que la consommation d’insectes a dilué les apports en micronutriments. Il faut donc ajuster la disponibilité des insectes dans la ration ou au fil des semaines pour éviter ces effets indésirables sur des périodes prolongées. 

En résumé, l’intégration des farines d’insectes dans l’alimentation des poulets semble être principalement limitée par leur digestibilité, mais pourrait quand même améliorer les performances de production à des taux d’inclusion et une durée d’utilisation optimaux. La plupart des études suggèrent des taux d’intégration de farines de larves de mouches à la diète des poulets à des valeurs allant jusqu’à un maximum de 15 %, afin de bénéficier d’un maximum d’effets positifs sur la productivité, la santé intestinale et l’immunité. 

 

  • Porcs 

En production porcine, les farines de larves de mouches noires pourraient découler en plusieurs applications intéressantes. L’une d’elles est le remplacement des farines de poissons couramment utilisées comme source de protéines dans l’alimentation des porcelets par des farines de larves de mouches soldats noires. Une étude de Yu et al. (2020), a déterminé les effets de l’intégration de différentes concentrations de farines de larves de mouches soldats noires dans la ration de porcelets venant d’être sevrés. Il en ressort qu’à une inclusion de 2%, en remplacement de la moitié des farines de poissons de la diète, des améliorations en ont découlé sur le métabolisme, le statut immunitaire, et le développement des intestins des porcelets. Ces changements ont positivement affecté leur croissance et le poids de leurs organes dans les 2 premières semaines de l’expérience.  

Des taux d’inclusion encore plus élevés allant jusqu’à 3,5% des larves de larves de mouches soldats noires, que ce soit sous forme entière séchée ou en farine non dégraissée, pourraient être acceptables selon Driemeyer (2016). Des farines de larves de non dégraissées, avec un contenu en gras important de 48% et un contenu en protéine de 36% a été utilisé dans l’alimentation de porcelets, en remplacement partiel des sources de protéines conventionnelles telles que les farines de poissons ou les tourteaux de soya. Malgré la valeur nutritive intéressante des farines de larves de HI, l’intégration de cet ingrédient a dû être limitée à 3,5 % étant donné sa forte teneur en gras qui peut nuire aux porcelets, à un âge où leur système digestif n’est pas encore assez développé pour digérer efficacement les graisses. Cette modification de la diète n’a pas entraîné de changement dans le poids des porcelets, leur prise alimentaire ou encore leur gain moyen quotidien. Leur croissance et leur développement n’a pas été affecté et étaient similaires à ceux des porcelets recevant une moulée contrôle, de même que pour ce qui est de leur composition sanguine et leur état de santé. Les farines de larves de mouches soldats noires non dégraissées pourrait donc s’avérer un bon substitut dans les quantités vérifiées au cours de cette étude. Toujours chez les porcelets, le remplacement dans l’alimentation de tourteaux de soya par des farines de larves de mouches soldats noires a aussi donné des résultats intéressants dans une étude menée par l’équipe de Velten et al. (2017). Les porcelets utilisés y ont reçu une ration où 75% du contenu en tourteau de soya a été remplacé par des farines de larves de mouches noires, partiellement dégraissée. Suite à ce changement, aucune variation n’a été observée quant à la croissance ou la prise alimentaire des porcelets, de même que sur la composition de leur microflore intestinale, n’a été observée, ce qui laisse à croire que les farines de larves de mouches soldats noires partiellement dégraissées pourraient être une option équivalente au tourteau de soya comme constituant dans la ration des porcelets. Il est estimé que l’inclusion de 4 à 8% de farines de larves de mouches soldats noires à l’alimentation des porcelets sevrés n’a pas d’effets négatifs sur leur croissance ou sur la digestibilité de la ration (Spranghers et al., 2018). 

Tout comme chez les poulets, les farines de larves de mouches soldats noires peuvent aussi favoriser la croissance chez les porcs, lorsqu’utilisées comme source complémentaire de protéines dans l’alimentation. La digestibilité de leurs protéines (76%) est comparable à celle des tourteaux de soya (77,2%). Quant à la digestibilité des gras de mouches soldats noires (53,8%), elle est supérieure à celle des tourteaux de soya (49,2%; Newton et al., 1977).  

Finalement, les porcs en finition pourraient non seulement bénéficier de l’inclusion de farines de larves de mouches soldats noires à leur diète comme sources de protéines, mais aussi comme un allié à leur microbiote. Yu et al., (2019), ont voulu déterminer les impacts de l’inclusion de cet ingrédient sur le microbiote intestinal, les profils en bactéries du métabolisme et du statut immunitaire de la muqueuse intestinale de ces animaux. À 4% d’intégration de farine de larve de HI dans la ration, l’abondance de bactéries bénéfiques produisant du butyrate, un composé immunomodulateur, s’est trouvée augmentée, alors que celle de bactéries indésirables comme les streptocoques a diminuée. Il ressort de cette étude que les farines de larves de HI peuvent modifier le métabolisme intestinal des porcs et peuvent également réduire les réactions inflammatoires des intestins, en favorisant l’expression de gènes anti-inflammatoire et en limitant l’activité de cytokines pro-inflammatoires. Cette modification de la diète a aussi régulé à la hausse l’expression de gènes associés à la protection contre les agents pathogènes par la barrière intestinale. Une meilleure intégrité de la muqueuse constitue un environnement plus propice à la colonisation de microorganismes luttant comme les pathogènes (Yu et al., 2019). 

  • Poissons 

En aquaculture, le rôle que jouent les insectes dans l’alimentation des poissons a pris de l’ampleur au courant des dernières années. Les insectes constituant une part importante de la diète des poissons en milieu naturel, ils peuvent aussi représenter une source de protéine alternative en contexte d’élevage. En effet, pour les poissons carnivores et omnivores à l’état sauvage, au stade larvaire ou alevin, les insectes représentent une part importante de leur alimentation. En aquaculture, ces mêmes espèces comme les truites et les saumons ont toujours cette capacité à utiliser des insectes pour combler leur besoin nutritionnel. Ces besoins sont particulièrement élevés en ce qui concerne les protéines. Ils varient entre 45 et 55% de protéines brutes pour les poissons carnivores et entre 35 et 45% de la ration pour les poissons omnivores. Pour arriver à les combler, des farines de poissons ou du soya sont les ingrédients les plus couramment utilisés. Toutefois, des farines d’insectes peuvent remplacer partiellement ou entièrement les farines de poissons et le soya utilisé en aquaculture. La digestibilité des insectes est variable et leur composition en protéines peut varier de 9,3% à 76% en fonction des espèces et de leur stade de croissance. Malgré cette variabilité, il reste aisé de modifier leur contenu en acides aminés et en acides gras des insectes par leur alimentation et par le fait même d’en améliorer la qualité nutritionnelle. 

De façon générale, les farines d’insectes ont un contenu en acides aminés similaire à celles des farines de poissons et supérieur aux autres farines animales et végétales. L’un des acides aminés retrouvés les plus abondamment chez les insectes est la méthionine. Ils sont aussi de bonne source de lipides et contiennent des peptides qui peuvent être bénéfiques pour la santé digestive des poissons.  Ils représentent une meilleure option pour le remplacement des farines de poisson que les alternatives végétales comme les farines de pois et de tournesol. En effet, le contenu en acide aminé de ces végétaux est mal balancé pour les poissons et peut mener au développement de carences. De plus, la présence d’amidon et de certains facteurs antinutritionnels est associée au l’émergence de problèmes de santé. 

Cependant, des poissons nourris d’insectes ne sont pas pour autant à l’abri des carences. Il faut considérer qu’en milieu naturel, les poissons arrivent à combler leurs besoins nutritifs en consommant une grande variété d’insectes et non une seule espèce, ce qui diversifie leur apport en nutriments. Cet aspect devra être considéré au moment de formuler la diète des poissons d’élevage à partir d’insectes.  À cet effet, le règlement sur l’alimentation du bétail de l’ACIA indique que le maximum d’inclusion de larves de mouches soldats noires séchées la diète des poissons salmonidés est de 10%.

  • Ruminants 

Plusieurs animaux d’élevage dont les vaches, les moutons et les chèvres sont des ruminants. Comme l’indique leur nom, les animaux de ce groupe sont dotés d’un rumen. Cet organe permet une digestion microbienne des aliments fibreux. Les ruminants sont aussi des herbivores. Leur diète est majoritairement composée de végétaux, comme du fourrage et des grains. Des suppléments peuvent aussi y être ajoutés, comme source de nutriments, de vitamines et de minéraux complémentaires. En ce sens, les insectes pourraient apporter des éléments nutritifs intéressants à l’alimentation des ruminants. Sans pour autant devenir un constituant important de la diète, des produits d’insectes pourraient être supplémentés pour leur contenu élevé en protéines et en certains acides gras. Il a été démontré que dans des conditions de fermentation ruminale in vitro, les poudres d’insectes séchés (larves de mouches soldats noires, ténébrions meuniers et grillons des steppes) sont associées à des émissions réduites de méthane comparativement au tourteau de soya. Toutefois, leur faible digestibilité limite leur inclusion à la diète (Jayanegara et al., 2017). 

L'alimentation des animaux domestiques constitue une part de marché importante pour les producteurs d'insectes comestibles. S’il est d’usage de se procurer des grillons et des vers offerts en animalerie pour nourrir des reptiles et amphibiens, les chats et les chiens peuvent eux aussi consommer des produits d'insectes.

Bien souvent, les tendances qui font leur apparition en alimentation humaine sont transposées aux animaux domestiques. La consommation d’insectes comestibles en fait partie. Au moment où les Occidentaux commencent à démontrer un intérêt pour la consommation de produits transformés à base de grillons ou encore de ténébrions meuniers, un nombre grandissant de fabricants de moulée pour chiens et chats cherchent à intégrer les produits d'insectes à leurs recettes.

Les propriétaires d’animaux domestiques font face à une multitude d’options lorsque vient le temps de sélectionner une diète de base pour leurs chiens ou leurs chats. Les moulées sont conçues pour combler les besoins nutritionnels des animaux en fonction des caractéristiques de la race et du stade de développement. D’autres aspects comme le type et la provenance des ingrédients, le format de vente, le prix et la réputation de la marque vont influencer le choix des acheteurs. Les stratégies marketing mises de l’avant par l’industrie comprennent les mentions du caractère écologique ou encore « naturel » des aliments de même qu’une similarité entre la composition de leur produit et la diète des ancêtres comme le loup dans le cas du chien. En ce sens, les insectes sont un composant important de la diète de base en milieu naturel de bien des animaux aujourd'hui domestiqués. Poissons, lézards et petits mammifères vont consommer des insectes lorsque l'occasion se présente. À l’état sauvage, les loups dont sont issus les chiens vont à l'occasion ingérer des insectes. Toutefois, ils contribuent à une faible proportion de la biomasse consommée. Il en va de même pour les chats, qui vont chasser des rongeurs, mais aussi des petits oiseaux, reptiles et des insectes. À l’état naturel, les insectes constituent moins de 0,5% de la diète des chats. Ainsi, même s’ils peuvent consommer des insectes, ces animaux ne sont pas considérés comme des insectivores.

La présentation des bénéfices santé qui découlerait de l’usage des aliments à base d’insecte est un autre aspect dont l’industrie fait la promotion. Cependant, ces affirmations ne sont toujours être appuyé scientifiquement. Dans le cas des moulées à base de produits d’insectes, ils sont souvent annoncés écologiques, sains et hypoallergènes. Mais est-ce vraiment le cas?

Par leur valeur nutritive, les insectes peuvent représenter un complément alimentaire intéressant à la diète des chats et des chiens. Cependant, certains défis y sont associés. D’abord, même si leur usage pour l’alimentation des animaux domestiques n’est pas réglementé, la qualité de ces ingrédients devrait toujours être vérifiée préalablement à leur inclusion aux diètes. Une nutrition inefficace ou encore des problématiques associées à l’innocuité et à la sécurité de ces produits pourraient nuire à la santé et à la longévité des animaux et ternir la réputation de l’industrie. L'utilisation de matières organiques résiduelles fortement contaminées tel que des résidus d’élevage pour nourrir des insectes qui serviront ensuite à nourrir des animaux domestiques pourrait aussi susciter la désapprobation des acheteurs. Même si la démonstration de l'innocuité des produits d'insectes est faite, la perception du public quant à la sécurité et l'acceptabilité de ces produits reste importante.

Par la suite, les goûts des chiens et des chats pour la consommation d’insectes varient en fonction des espèces et les niveaux d’inclusion. Il a été montré que les chiens auraient une préférence pour les aliments contenant des farines ou des huiles de mouches soldats noires contrairement aux chats, qui optent plutôt pour les produits à base de ténébrions meuniers. Dans le cas où la palatabilité de l’aliment à base de produits d’insectes ne serait pas au rendez-vous, l’animal pourrait le refuser ou en consommer moins que requis pour répondre à ses besoins métaboliques de base de plus, la relation entre le propriétaire et son animal est renforcée par l’alimentation, d’où l’importance d’offrir des produits qui plaisent à l’animal.

Les insectes doivent être combinés à d’autres ingrédients pour combler pleinement les besoins nutritifs des chiens et des chats. Dans le cas des produits de larves de mouches soldats noires et de ténébrions meuniers, leur contenu en méthionine, un acide aminé indispensable, est limitant pour l’alimentation des chats et des chiens. Il en va de même pour la farine de poulet. La thréonine est aussi un acide aminé disponible en proportion insuffisante dans les produits de mouches soldats noires pour répondre aux besoins des chiens. D’autres ingrédients doivent donc y être combinés en conséquence pour éviter les carences des animaux domestiques. En plus de répondent aux besoins nutritionnels des animaux, les nutriments fournis doivent être digestes. La digestibilités les farines d’insectes sont comparables à celles des autres aliments pour chiens et chats sur le marché. La digestibilité azotée des larves de mouches soldats noires, ténébrions meuniers et mouches domestiques broyées est similaire à celles des farines de poulet.

Les recherches axées sur les effets de la consommation d'insectes sur la santé animale ont majoritairement été réalisées chez des animaux d'élevage comme le porc, le poisson et le poulet. Bien que ces résultats soient souvent positifs, avec des résultats démontrant des effets antibactériens ou hypocholestérolémiques chez ces espèces, il n'est pas possible de transposer ces effets aux animaux domestiques vu les nombreuses variations inter espèces subsistant sur le plan physiologique et du métabolisme. Ils seraient pertinents que de telles études soient appliquées à des chiens et des chats dans l'avenir. Parmi les composés bioactifs d’intérêt, on trouve la chitine, un constituant de la cuticule des insectes. Étant non-digeste, la chitine stimulerait la mobilité dans le tractus intestinal. Elle pourrait aussi favoriser le développement de microorganismes bénéfiques du microbiote. En étant favorisés, ces microorganismes peuvent exercer une compétition exclusive des microorganismes indésirables. Cependant, davantage d'études sur les effets de la chitine sur le microbiote intestinal des animaux domestiques sont requises pour affirmer que des bénéfices en découlent sur la santé intestinale.

Finalement, un autre aspect à élucider concernant les bénéfices « santé » associés aux produits d’insectes est leur supposée propriété hypoallergène. Les chiens et les chats peuvent développer des allergies alimentaires causant des problèmes d'inflammation cutanée ou encore du système gastro-intestinal. Pour y remédier, il est possible de modifier l'alimentation des animaux atteints. Les protéines déclenchant ces réactions indésirables peuvent être remplacées nouvelles sources avec lesquelles le système immunitaire n'est pas familier. En ce sens, les protéines d'insectes pourraient ne pas déclencher de réaction du système immunitaire des chiens et des chats. Toutefois, bien que les aliments à base d'insectes soient souvent annoncés comme étant hypoallergènes par les entreprises les commercialisant, aucune étude en faisant la démonstration n'a été publiée à l'heure actuelle.

Quant à l’aspect écologique des produits d’insectes, il faut y apporter des nuances en fonction des applications qui en sont faites. Lorsque ceux-ci sont utilisés des fins d’alimentation du bétail en remplacement de sources de protéines conventionnelles comme le soya et les farines de poissons, ils représentent une alternative des plus durables. Ceci est tout particulièrement vrai lorsque les insectes sont élevés sur des matières organiques résiduelles qu’elles bioconvertissent avec une valeur ajoutée. Si l’on compare les productions d’insectes à d’autres productions animales comme celle des bovins de boucherie, on peut aussi affirmer que leur empreinte écologique est réduite. En effet, la majeure partie des constituants des insectes sont comestibles, ce qui réduit les pertes qui y sont associées. Les insectes ont aussi une excellente efficacité énergétique en comparaison du bétail, ce qui s’explique en partie par le fait qu’ils sont poïkilothermes (leur température corporelle s’ajuste à celle de leur environnement). Finalement, les émissions de gaz à effet de serre associée à cette production sont réduites et eu de ressources sont requises pour en faire l'élevage tel que des terres et de l’eau. Malgré tout, l’utilisation d’insectes comestibles n’est pas nécessairement une option plus durable lorsqu’il s’agit d’alimenter des chiens et des chats. En effet, les bénéfices environnementaux qui découlent de l’intégration des produits d’insectes prennent moins d’importance dans un contexte d’alimentation des animaux domestiques. Ceci s’explique par le fait que les sources de protéines conventionnellement utilisées pour nourrir ces animaux sont en majorité des co-produits de viande (poulet, bœuf, porc, agneau et poissons) issus d’équarrissage. En étant dirigés vers cette filière, ils sont valorisés avec une incidence environnementale moindre. Ainsi, les insectes sont associés à beaucoup de bénéfices environnementaux, mais ne représentent pas pour autant une valeur ajoutée face à d'autres matières organiques résiduelles qui sont directement utilisées pour nourrir les chiens et chats.

 

 

 

L’entomophagie à travers le monde

L'entomophagie désigne l'action de manger des insectes. Cette pratique est répandue en Asie et en Afrique. Or, ici même, en Amérique du Nord, l'entomophagie existe depuis l'époque paléolithique. Encore aujourd'hui, le Mexique est l'un des pays où l'on consomme la plus grande diversité d'insectes, avec 549 espèces répertoriées. À travers le monde, c'est 2086 espèces d’insectes qui sont consommées par les humains, de groupes ethniques variés. Les coléoptères sont les insectes les plus consommés (31%), suivis des chenilles (18%), des hyménoptères (15%), des orthoptères (13%) et d’autres insectes comme les termites et les larves de mouches(Ayensu et al., 2018). Les types d’insectes et les volumes récoltés peuvent varier en fonction de leurs attraits gustatifs et nutritionnels, mais aussi leur abondance sur le territoire. L’élevage d’insectes facilite l’obtention de ces produits en les rendant accessibles tout au long de l’année (Ramos-Elorduy, 2009).

À l’heure actuelle, la plupart des Occidentaux démontrent une réticence à consommer des insectes. Cependant, une vague d’intérêt pour l’entomophagie est observée. L’aspect écologique et nutritif des produits d’insectes les rend plus attrayants bien qu’ils soient des aliments non conventionnels. (Schrader et al., 2016). Pour faire découvrir ces aliments à la population, des chefs ont aussi su mettre de l’avant des insectes dans des plats savoureux et originaux (Ramos-Elorduy, 2009). Plusieurs compagnies produisent maintenant des insectes pour le marché nord-américain et des produits d’insectes sont retrouvés en épicerie et au menu de certains restaurants (Schrader et al., 2016).

Il existe un éventail de possibilité pour cuisiner les insectes. Dépendamment des espèces et des cultures culinaires, ils sont consommés vivants, cuits, bouillis, frits ou même transformés en farine pour être intégrés à d'autres préparations (Ramos-Elorduy, 2009). La façon dont sont apprêtée les insectes vont modifier leurs saveurs, leur apparence et texture et peuvent même leur valeur nutritionnelle.

Bénéfices nutritionnels

Par leur valeur nutritive élevée, les insectes sont des aliments de qualité. Les principaux composant des insectes sont les protéines et les lipides riches en acides gras insaturés. Ils contiennent aussi des fibres, des glucides et des minéraux (Cu, Fe, Mg, Mn, P, Se, Zn). Leur composition varie en fonction des espèces, du stade de croissance et de leur diète. Par exemple, le contenu en protéines des termites est 35,3% alors qu’il atteint 61,32% dans le cas des grillons (Ayensu et al., 2018).

Toutefois, il faut rester critique vis-à-vis du marketing présentant les insectes comme des aliments aux effets miracles pour la santé. Une recette intégrant des insectes, tels que des biscuits à la poudre de grillons, n’est pas nécessairement plus saine pour autant. De plus, les nutriments que contiennent les insectes ne leur sont pas exclusifs.  Par conséquent, mieux vaut choisir de consommer des insectes pour leur valeur nutritive, leur aspect écologique ou tout simplement pour le plaisir gustatif qu’ils nous procurent!

***Il est à noter que les personnes allergiques aux crustacés pourraient réagir à d’autres types d’arthropodes, dont des insectes comestibles (Ayensu et al., 2018).

 

 

Les insectes comestibles qui font la bioconversion vont générer un sous-produit : les frass, un ensemble constitué des matières organiques indigestibles, d’excréments d’insectes et de résidus d’exosquelettes (mues). Ces frass contiennent de l’azote (N) et du phosphate (P) ainsi que plusieurs autres nutriments, des composés essentiels à la croissance des plantes. Les frass ont donc le potentiel d’être utilisés en agriculture comme amendement du sol, soit un genre de compost.  

En somme les frass présentent 3 grands avantages à leur utilisation en agriculture :

  1. Contribution de nutriments au sol (principalement N)
  2. Addition de biomolécules et de microorganismes qui active la croissance des plantes
  3. Tolérance aux stress abiotiques, aux pathogènes et aux pestes accrue

L’utilisation de frass produites par des insectes alimentés avec des matières organiques résiduelles permet de fournir un apport de N et de P qui sont déjà dans le système agricole plutôt que d’ajouter un intrant exogène. L’agriculture actuelle fait encore usage courant d’engrais chimiques qui sont en grande partie perdus par dissémination dans l’environnement plutôt qu’absorbés par les plantes, ce qui entraîne d’importantes conséquences écologiques néfastes (eutrophisation et acidification des sols). La demande alimentaire mondiale croissante exerce une grande pression sur les exploitations agricoles à générer plus, et plus rapidement. Cela exacerbe la demande en fertilisant contenant de l’N et du P, qui sont des produits devenus nécessaires pour l’agriculture et l’alimentation du bétail.

Hermetia illucens et Tenebrio molitor sont les candidats favoris pour la production de frass à usage agroalimentaire, principalement à cause de leur tolérance à divers sources alimentaires (saprophages) et leur capacité de production volumique de frass. La composition des frass varie selon la diète de l’insecte. Par exemple, la composition des frass (sèches) de BSF ressemble à celle du fumier de poulet.

Un avantage majeur à faire la production de frass plutôt qu’à faire du compostage avec la matière organique résiduelle est que les frass sont un sous-produit de la production d’insectes comestibles, qui ont une valeur économique plus importante par leur surcyclage de ces matières en produits d’insectes (protéines et lipides). Le compostage aérobique est bioprocédé chronophage (> 90 jours) et le compostage anaérobique est onéreux. De plus, la production de frass est au moins aussi durable que le compostage selon divers métriques environnementales.

En plus de ces apports nutritifs, les frass peuvent avoir un effet bénéfique sur les cultures en augmentant leur croissance et inhibant le développement de certaines maladies chez les plantes. L’utilisation de frass de ténébrion comme engrais fait l’activation du système de résistance aux stress des plantes. De plus, la chitine contenue dans les frass est reconnue comme un amendement bénéfique au microbiome du sol, entre autres pour le contrôle de pestes, et peut faire l’activation de systèmes de défense chez les plantes.

Les insectes comestibles se développent en présence d’une grande densité de microorganismes dans leur environnement, incluant de nombreux symbiontes ayant des interactions mutualistes avec l’hôte. Ces microorganismes se retrouvent naturellement en haute densité dans les frass et peuvent contribuer à la santé des sols. Les microorganismes revêtent une grande importance dans le secteur agricole pour les actions de bioprotections, biocontrôlant, biofertilisant, biostimulants et leur rôle dans la réponse aux stress des plantes. Les microorganismes bénéfiques présent dans les frass peuvent par exemple faire la dégradation de matières en décomposition en composés plus simples qui seront assimilables par les plantes, contribuant à l’action de fertilisant organique des frass. La santé des sols est un enjeu majeur de la sécurité alimentaire, puisque l’utilisation intensive actuelle menace la durabilité des terres agricoles en appauvrissant le sol par la compaction, l’érosion, la perte de matière organique, la contamination par les pesticides, la perte de biodiversité, etc.. Tout comme la composition nutritionnelle des frass, la composition et l’abondance relative des microorganismes varie avec plusieurs facteurs, principalement la diète.

Une autre avenue en cours d’exploration est le potentiel d’utiliser les frass comme alternative aux pesticides. Toutefois les règlementations canadiennes exigent l’enregistrement des pesticides avec la Canadian Food Inspection Agency, ce qui nécessite des démonstrations et tests extensifs.

L’apport nutritionel des frass est tel que son utilisation potentielle dans l’alimentation de certains poissons a été soulevée, tel que les frass de mouche soldat noire dans la diète de poisson-chat (Ictalurus punctatus) ou de tilapia hybride (Oreochromis niloticus x O. mozambique). Beaucoup de recherche reste à faire avant qu’une telle utilisation devienne monnaie courante.

L’utilisation de fertilisants organiques, comme les frass, est moins constant et rapide que l’utilisation des fertilisants chimiques. Effectivement, la composition et donc la qualité des frass varie en fonction de la source alimentaire. Les effets bénéfiques sont plus lents à se faire ressentir et le labeur et l’investissement monétaire sont plus important pour les fertilisants organiques. 

Au Canada, les frass ne sont pas reconnus comme un fumier, qui se définit comme un produit venant des mammifères ou des oiseaux. Cette réglementation complexifie l’utilisation des frass comme fertilisant. En Union Européenne, l’IPIFF travailles à l’approbation d’utilisation des frass comme fertilisant et à l’élaboration de règles de certification organiques pour les producteurs.


Pour plus d'informations sur l'utilisation des matières organiques dans l'alimentation des insectes comestibles, voir la section sur les résidus.

La chitine est polysaccaride composant l’exosquelette des arthropodes dont font partie les insectes. Même si elle est retrouvée en faible quantité, la présence de chitine peut découler en une réduction de la digestibilité des produits d’insectes (Gasco et al., 2019). Malgré tout, il s’agit d’un composant non toxique possédant des propriétés bactériostatiques (Yu et al., 2019). Une application intéressante par rapport à la chitine serait de s’en servir pour ses effets stimulateurs sur la réponse immunitaire. Les animaux qui en consomment, par l’incorporation de farines d’insectes à la ration ou  par une supplémentation en chitine, pourrait améliorer leur statut immunitaire (Veldkamp et al., 2012). Par exemple, le sevrage est une étape déterminante de l’élevage des porcelets. Cette période peut être stressante et les rendre plus vulnérables aux pathogènes, réduire leur prise alimentaire ainsi que leurs capacités digestives. Vu leur sensibilité plus élevée, des suppléments antimicrobiens sont ajoutés préventivement à leur ration (Spranghers et al., 2018). Des antibiotiques peuvent aussi être utilisés dans l’élevage de porcs comme facteurs de croissance, ce qui peut amener au développement de résistance. En prenant en considération ces réalités, il serait pertinent d’évaluer le potentiel de la chitine extraite comme alternative à l’utilisation de ces produits chez les porcs (Veldkamp et al., 2012).

Comme mentionné, la chitine est un frein à la digestibilité des farines d’insectes chez les monogastriques. Cependant, malgré l’insolubilité de la chitine dans la plupart des solvants, les poulets ont la capacité de la dégrader en partie, pour mieux libérer les nutriments du corps mou des insectes, qui autrement sont protégés par l’exosquelette (Hossain et Blair, 2007). Cela a dû à la sécrétion endogène de l’enzyme chitinase dans le gésier des oiseaux et à l’action de certains microorganismes intestinaux. Il reste que la chitine est difficile à digérer chez les poulets même si des contenus élevés en ce composé dans les farines ne semblent pas affecter leur performance de croissance, selon Ravindran et Blair (1993). Ce composant ne peut non plus être considéré comme une source abondante d’énergie pour les poulets. Sa valeur nutritive est faible quoique non nulle.

Par une désacétylation de la chitine, on obtient le chitosane, un composé bactériostatique. S’il est couramment utilisé dans le domaine pharmaceutique et cosmétique, son inclusion à l’alimentation des animaux d’élevage pourrait s’avérer intéressante étant donné ses propriétés immunomodulatrices. Le chitosane aiderait à prévenir la diarrhée chez les porcelets en sevrage et à limiter d’autres effets indésirables associés à cette période de transition stressante, sur la croissance et la santé des animaux. Dans une étude de Xu et al. (2018), une supplémentation de 500 mg de chitosane/kg d’aliment a amélioré la digestibilité de certains nutriments, modulé la réponse immunitaire et réduit les populations de pathogènes (E.coli, Salmonella et Staphylococcus aureus) dans les fèces des porcelets, ce qui a eu des impacts positifs sur leur croissance (Xu et al., 2018). En effet, malgré que la digestibilité des matières grasses ait diminué, celle apparente des protéines, du calcium et du phosphore s’est trouvés améliorés chez les porcs recevants du chitosane. Cela s’explique par une augmentation de l’activité de certaines enzymes digestives stimulée par ce supplément. Pour ce qui est de la réponse immunitaire, la production de cytokines et d’anticorps a également été influencée par les apports en chitosane. Dans cette étude, le chitosane a été extrait de la chitine de la coque des crevettes, mais il pourrait être possible de faire de même à partir des larves de mouches noires pour en tirer un autre produit à haute valeur ajoutée. Pour finir, le chitosane a aussi des propriétés hypolipidique, c’est-à-dire qui permettent d’abaisser les taux de cholestérol sanguin. Son intégration à l’alimentation des poulets de chair pourrait donc permettre de limiter la déposition de gras corporel chez les oiseaux sans affecter leur croissance (Hossain et Blair, 2007).

Les biodiésels sont des carburants produits à partir de gras végétaux ou animaux. Ils offrent une alternative à l’utilisation d’énergie fossile. Or, comme ils impliquent l’utilisation de grandes quantités d’aliments pour leur fabrication, ces procédés créer aussi une compétition entre la réponse aux besoins alimentaires des populations humaines et l’industrie des biodiésels. Par exemple, l’éthanol est un produit à base de maïs. Pour remédier à la situation, des insectes comestibles élevés sur des matières organiques résiduelles peuvent être utilisés comme source de lipides pour la production de ces biocarburants.

De nombreuses études se sont penchées sur l’efficacité de ce processus. De la paille de riz, des résidus de restaurant, des résidus d’endosperme de noix de coco ou encore des drêches de maïs sont des composés ont été servi comme diète à des larves de mouches soldats noires pour évaluer leur capacité à les valoriser. Il en ressort qu’avec l’aide de microorganismes ou d’un pré-traitement de fermentation sur les matières organiques résiduelles offertes aux larves, celles-ci sont capables de les bioconvertir efficacement en biomasse lipidique. Ces lipides pourront aussi être extraits des larves pour produire des biocarburants à l’impact environnemental réduit et à l’acceptabilité sociale améliorée. Les coûts de production réduits et le peu d’intrants requis dans l’application de ce procédé viennent aussi optimiser sa rentabilité.

En début de cycle de vie, les larves vont se nourrir et croître rapidement, accumulant des réserves importantes de lipides dans leurs tissus. En puisant dans ces réserves, les mouches soldats noires pourront compléter les étapes de développement subséquentes (prépupe, pupe, mouche) sans avoir à se nourrir. C’est donc à la fin du stade larvaire et lors de la phase prépupale que les réserves lipidiques emmagasinées sont les plus importantes. À cette période, les larves de mouches soldats noires peuvent contenir de 15 à 49% (base sèche) de lipides, dont près de la moitié sont constitués d’acide laurique. D’ailleurs, les gras issus de larves de mouches soldats noires sont plus riches en acides gras saturés à courte chaîne (tel que l’acide laurique et l’acide palmitique) et en acide gras insaturé (principalement l’acide oléique, linoléique et alpha-linolénique) que l’huile de coco et l’huile de palmiste.

L’accumulation de ces lipides et leur composition sont fortement influencées par l’alimentation des larves.  Toutefois, ces dernières n’ont pas besoin de consommer de grandes quantités de lipides pour en accumuler tout autant. En effet, les glucides consommés peuvent être eux convertis en lipides par les larves. Ainsi, une diète riche en glucides pourrait favoriser davantage l’accumulation de gras corporel qu’une diète aux proportions équilibrée en macronutriments.

Les lipides emmagasinés dans les tissus larvaires peuvent être extraits à des fins d’alimentation pour des animaux domestiques et d’élevage comme la volaille, le porc et le poisson. Vu le peu de ressources qui sont requises pour en faire l’élevage et leur intégration au principe d’économie circulaire, les larves de mouches soldats noires permettent de générer des produits durables. En plus de ces avantages environnementaux, leur intégration à l’alimentation des animaux d’élevage peut favoriser des performances supérieures. Dans le cas des graisses de larves de mouches soldats noires, leur contenu élevé en acides gras à courtes chaînes favorise la digestibilité. De plus, par la présence d’acide laurique, la consommation de ces gras pourrait contribuer à prévenir les infections dues à Clostridium perfringens chez les animaux, et ce avec peu d’impacts négatifs sur les bactéries lactiques bénéfiques du microbiote intestinal. Ces applications pourraient se traduire par une réduction de l’usage des antibiotiques en prévention et ultimement par une amélioration du bien-être animal et des performances de croissance du bétail. Cependant, le contenu élevé en lipides des larves est supérieur à plusieurs ingrédients conventionnellement utilisés en alimentation animale comme le tourteau de soya et les farines de poisson. Ainsi, il surpasse les besoins nutritionnels de la plupart des animaux d’élevage ce qui peut nuire à la digestibilité des produits de larves entières. Pour remédier à cette situation, il est possible de « dégraisser » les farines issues de ces larves pour en réduire les teneurs lipides, concentrant par le fait même leur contenu en protéines.

Les surplus de lipides extraits peuvent servir d’ingrédient pour l’alimentation animale, mais aussi être utilisés à d’autres fins, tels que la production de biodiésel ou encore être intégrés à la composition de cosmétiques.

Les biodiésels représentent des alternatives intéressantes aux énergies fossiles et peuvent être ajoutés aux carburants conventionnels pour réduire les émissions de GES qui y sont associés. Les avantages écologiques qui en découlent sont décuplés lorsque des gras d’insectes sont à la base de leur fabrication plutôt que des ingrédients végétaux issus de cultures végétales.  Il faut dire que l’usage de grains ou d’autres aliments pour la fabrication de biodiésel est controversé. L’utilisation d’insectes comestibles à ses fins est mieux acceptée et plus durable. S’il est aussi possible de produire des biodiésels directement à partir des matières organiques résiduelles telles que des résidus de table, leur bioconversion par les larves permet d’augmenter la quantité de lipides disponible pour la production de biodiésel. De plus, l’utilisation des gras de mouches soldats noires permet de produire des biodiésels moins visqueux et enclin à l’oxydation vu leurs teneurs élevées en acides gras à courte chaîne. À des doses adéquates et dans des conditions optimales, l’hexane s’avère le solvant le plus efficace pour extraire les gras de larves de mouches soldats et amorcer simultanément la transestérification des acides gras pour la production de biodiésels.

L’acide laurique contenu dans le gras des larves de MSN peut être converti en monolaurate de glycérol. Ce composé est reconnu pour ses propriétés antimicrobiennes et antivirales chez les humains et les animaux. C’est entre autres pourquoi on en retrouve communément dans la composition de produits d’hygiène tel que les savons. Or, le plus souvent l’acide laurique est issu de sources végétales comme le palme et le cocotier, des cultures intensives et associées à la déforestation. Extraire ce composé à partir des gras de larves de mouches soldats noires pourrait donc s’avérer une alternative plus écologique. Leur gras contient aussi à de faibles proportions des composés bioactifs tels que de l’acide azélaïque qui a un pouvoir d’inhibition sur les microorganismes pouvant se développer dans les glandes sébacées de la peau. Par conséquent, les gras issus des larves sont ingrédients intéressants à incorporer aux produits de soins de la peau.