Les matières organiques résiduelles

Au Canada, 30% des aliments sont gaspillés et 58% des résidus organiques d’origine alimentaire, incluant les parties non comestibles des aliments (os et peau des animaux d'élevage, écorces et autres enveloppes non comestibles des végétaux, etc.) sont perdus tout au long de la chaîne de production/approvisionnement. Les déchets alimentaires ont des impacts économiques et environnementaux négatifs importants compte tenu de l'eau, des terres, de l'énergie et des autres ressources naturelles qui ont été mobilisées pour les produire.  Dans le passé, les déchets alimentaires étaient simplement détournés vers les décharges, ce qui est interdit dans de nombreuses régions et notamment au Québec.  Les résidus organiques représentent pourtant une ressource précieuse et de nouvelles approches émergent pour valoriser au mieux cette biomasse. Au Québec, la législation interdisant l'enfouissement des résidus alimentaires et végétaux, où des pénalités pour l’élimination de 100$/tonne sont prévues pour 2024, exigera des alternatives créatives pour gérer adéquatement ce " flux de déchets " et maintenir la compétitivité de l’industrie agro-alimentaire. 

Le terme matières organiques désigne toutes les matières biodégradables par les microorganismes. Ils peuvent être catégorisés comme suit :

  • Résidus verts : feuilles, gazon et autres résidus de jardinage;
  • Résidus alimentaires : restes de tables, restes de préparation de repas, résidus de commerces et détaillants en alimentation;
  • Boues d’épuration des eaux usées/biosolides municipaux: produits des usines d’épuration des eaux usées et des fosses septiques;
  • Boues et résidus d’activité industrielles des secteurs pâtes et papiers et agroalimentaires.

 

La gestion des matières organiques résiduelles est elle-même une source de gaz à effet de serres. Au Québec, elle est responsable de 5,9% des émissions en 2013.

Selon Recyc-Québec « Le gaspillage alimentaire se traduit généralement par toute nourriture destinée à la consommation humaine qui est perdue ou jetée tout au long de la chaine alimentaire, du champ à l’assiette ». Les déchets organiques résidentiels solides s’élèvent à 1,75 million de tonnes produites annuellement, avec un volume similaire provenant du secteur des industries, commerces et institutions.

Les productions agricoles et agro-alimentaires produisent dans leurs activités quotidiennes de nombreuses sources de matières organiques résiduelles, comme :

  • le lisier;
  • les fumiers;
  • les boues de fosses septiques;
  • les eaux usées;
  • les résidus alimentaires domestiques

Au Canada, les matières organiques jetées sont envoyées dans des sites d'enfouissement où elles produisent du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Cependant il existe d’autres méthodes de recyclage des matières organiques, comme le compostage et la biométhanisation qui produisent du biométhane.

Le compostage est la fermentation (par des microorganismes en présence d'oxygène) contrôlée des matières organiques résiduelles, qui produit un amendement organique.

La biométhanisation est une approche de fermentation (par des microorganismes sans oxygène) des matières organiques résiduelles. Cette méthode produit du méthane dans un environnement contrôlé qui permet sa récupération et son utilisation comme source d'énergie.

Dans le but de limiter le gaspillage alimentaire, les gouvernements, les industries et les consommateurs doivent utiliser les stratégies (présentées dans l'ordre à privilégier) de :

  • Réduction
  • Récupération
  • Recyclage
  • Élimination

Les insectes comestibles qui font le surcyclage des matières organiques sont une stratégie supplémentaire à cette approche classique, qui s'inscrit juste après la récupération et avant le recyclage des déchets.

L’industrie alimentaire fait actuellement face à une multitude de défis, tels qu’arriver à répondre à la demande alimentaire croissante, réduire l’empreinte écologique, arrêter l’étalement agricole et améliorer la santé humaine. L’industrie des insectes comestible pourrait, en s’intégrant dans la chaîne de production alimentaire, amener des solutions viables pour atteindre un modèle de production durable. Le potentiel énorme des insectes vient de leur capacité à revaloriser les déchets organiques et ainsi créer une économie circulaire qui limite l’apport d’intrant nécessaire.

Les entotechnologies permettent de faire le surcyclage des matières organiques en « traitant » les matières organiques par un élevage d’insectes qui consomme les matières organiques résiduelles. Les insectes ainsi produits ont bioconverti les déchets en protéines et lipides de qualité et peuvent être utilisés pour la consommation humaine ou intégrés dans l’alimentation du bétail ou d’animaux domestiques. Le taux de bioconversion des insectes est beaucoup plus efficace que celui des animaux de production : pour produire 1 kg d’insectes il faut 1,7 kg de nourriture, alors que pour produire 1 kg de bœuf, de porc ou de volaille il faut respectivement 10 kg, 5 kg et 2,5 kg de moulée. Les insectes produit peuvent aussi servir à générer des composants d’intérêt pour l’industrie pharmaceutique ou énergétique (acides aminés, huile, chitine, enzymes, molécules antimicrobiennes, lipides).

Un autre avantage de la gestion des déchets par les insectes est leur capacité à réduire de 50 à 75% de la masse des déchets organiques. Cela facilite la gestion subséquente des déchets résiduels en réduisant les coûts de collecte, transport et traitements. Cette aptitude peut s'avérer particulièrement intéressante pour les régions éloignées qui doivent assurer la gestion de leurs matières organiques résiduelles sans accès à des usines de biométhanisation et avec un apport limité en nouvelles ressources organiques.

Tous les déchets organiques ne sont pas égaux. On peut hiérarchiser les déchets en fonction de leur qualité et les classifier à différents usages pour optimiser la gestion des déchets organiques et maximiser leur rentabilité. Les déchets qui sont de « qualité » (valeur nutritionnelle et biodisponibilité), comme des aliments comestibles mais qui ne répondent pas aux critères d’apparence, ou encore qui sont des restants et surplus de commerces, on intérêt à être ré-utilisés directement sans passer par l’étape de bioconversion par les insectes. Effectivement, pourquoi nourrir les insectes en vue de l’alimentation animale quand les aliments pourraient être directement données aux animaux?

Selon l’IPIFF (2020), environ un tier des déchets alimentaires seraient aptes à être utilisés dans l’élevage industriel d’insectes. Cependant le terme « déchet » est une classification qui a des implications réglementées quant à son utilisation légale d’un résidu dans l’alimentation pour les animaux d’élevage. Dans l’Union Européenne, sept espèces d’insectes sont considérés comme des animaux d’élevage, incluant la mouche soldat noire, le ténébrion meunier et la mouche domestique. Ce qui signifie que les règlementations d’hygiène et alimentaire interdissent d’alimenter ces élevages avec des « déchets » organiques comme le fumier ou contenant de la viande, du poisson ou qui sont des déchets de restauration.

En plus de considérer le niveau de qualité des déchets organiques, la présence de contamination est un facteur important à prendre en compte pour déterminer la meilleure gestion possible. Les déchets organiques domestiques peuvent être de grande valeur pour l’industrie des insectes. Cependant, ces déchets sont actuellement combinés avec les déchets municipaux qui peuvent contenir des contaminants comme des composés pharmaceutiques (ex : antibiotiques, contraceptifs) les rendant inutilisables par le secteur des entotechnologies. Les méthodes de collecte sont donc à revoir ou adapter dans certaines situations afin d’éviter de contaminer ou défraîchir des déchets, ce qui a comme conséquence de limiter les avenues de recyclages.

En somme, pour réussir l’intégration du surcyclage par les insectes dans nos méthodes de gestion des déchets organiques, il faut réfléchir à l’approche la plus optimisée en fonction de la hiérarchie des déchets. Ainsi, les résidus organiques de qualité peuvent être directement donné aux animaux, les résidus de qualité qui sont impropres à la consommation aurait intérêt à être surcyclés par les insectes, alors que les résidus organiques contaminés ou de faible qualité peuvent être envoyés au compostage et à la biométhanisation pour produire du biométhane et du biofertilisant.

Les chaînes de production alimentaire sont étroitement liées aux sociétés et aux cultures dans lesquelles elles opèrent. L’économie locale est très souvent directement dépendante des chaînes de production alimentaires. Tout changement qui veut s’opérer dans un système aussi complexe et interdépendant amène des risques considérables et peut entraîner des conséquences inattendues.

Arriver à hiérarchiser les déchets organiques permet de prévoir une approche de gestion optimale, il faut toutefois considérer que les déchets provenant d’une source peuvent varier en volume et en composition dans le temps. Cette inconsistance de la qualité et de l'approvisionnement de matières organiques peut compliquer l’utilisation des déchets organiques comme source alimentaire pour les élevages industriels d’insectes destinés à la consommation animale, puisque que la composition et les valeurs nutritionnelles des insectes varient en fonction des valeurs nutritives de leur alimentation. Pour ces raisons, l’utilisation de déchets pour alimenter les insectes présente un potentiel fantastique dans la gestion des déchets et d'un point de vue écologique, mais présente des complexités majeures dans la réalisation technique.