Les principaux insectes comestibles élevés au Canada

L’espèce sélectionnée est un enjeu majeur dans le domaine des insectes comestibles. La classe des insectes représente la large majorité de la biodiversité du monde animale. Plus de 2 111 arthropodes sont rapportés être utilisés pour la consommation humaine. Parmi les plus consommés, on retrouve les coléoptères (scarabés) (31%), les lépidoptères (chenilles) (17%), les hyménoptères (abeilles, fourmis) (14%), les orthoptères (grillons, criquets) (14%).

Cependant, tous les insectes n’ont pas les mêmes besoins et capacités nutritionnelles (e.g. diète stricte vs saprophage), besoins environnementaux (i.e. température, humidité, lumière, etc.), capacité de bioconversion, cycle développemental et risques biologiques. Ces différentes caractéristiques sont déterminantes lorsque l’on sélectionne une espèce pour un besoin précis, comme pour faire la gestion de déchet municipaux ou produire des protéines alternatives pour la consommation humaine. Au Québec, la production d'insectes s'articule principalement autour de trois espèces d'insectes comestibles : la mouche soldat noire, le ténébrion meunier et le grillon domestique.

Insectes comestibles

Mouche soldat noire (Hermetia illucens)

Origines

Hermetia illucens de l’ordre des diptères, est l’une des quelques 1 500 espèces dans la famille des Stratiomyidae, les « mouche soldat », et appartient au genre Hermetia qui inclut 76 espèces. Originellement native des néotropiques, on la retrouve désormais à dans les régions tropicales et tempérées à travers le monde. Ce changement drastique de distribution a été causé par l’activité humaine, notablement par le transport maritime. La larve de BSF est un saprophage (se nourrit de matières putréfiées), tandis que la mouche adulte consomme uniquement de l’eau. Les larves s’alimentent de divers déchets organiques, comme les restes d’animaux et de plantes à différents stades de décomposition ou encore les déjections d’animaux et d’humains; c’est cette versatilité dans leur source d’alimentation qui a facilité leur naturalisation dans de nouveaux habitats.

 

Biologie (Cycle de vie)

Elles ont un développement de type holométabole ce qui veut dire qu’au cours de leur cycle de vie, elles vivront une métamorphose complète, en passant des œufs aux larves, qui deviendront des pupes puis des adultes capables de voler et de se reproduire. Les mouches femelles ne pondent que s’il y a accouplement.Une femelle pond généralement entre 400 à 900 œufs, dans des crevasses sèches et proche d’odeurs de matières organiques putrescibles. Les oeufs éclosent après deux à quatre jours et les jeunes larves commencent immédiatement à s’alimenter.

 

© Mathieu Guesthier

Le stade larvaire suivant dure environ 14 jours en conditions optimales, pendant lesquels la larve passe par cinq instars, qui se terminent par un stade pré-pupe. Initialement très petites (< 1 mm), les larvent peuvent atteindre une longueur de 27 mm. Dans les élevages, la récolte se fait habituellement autour du jour 10 du stade larvaire, alors que les larves ont accumulé de l’énergie pour la transformation du stade suivant et avant que leur cuticule commence à durcir et à noircir (et que le stade de pré-pupe commence à consommer l’énergie emmagasinée).

Une sixième mue aboutit au stade de pupe, qui perdure d’une à deux semaines, jusqu’à l’émergence de la mouche adulte.

Au stade larvaire ou au stade de pupe, la croissance peut être délayée de plusieurs mois à des températures trop basses ou en l’absence de nourriture. Les adultes en bonne santé mesurent de 15 à 22 mm. Le stade adulte se consacre entièrement à la reproduction. De plus, une lumière spécifique avec des longueurs d’ondes de 440 et/ou 540 nm est nécessaire pour induire l’accouplement des adultes.

L’humidité, la température, la densité de population et le substrat alimentaire sont des facteurs importants qui affectent le cycle de vie, le poids, la composition nutritionnelle et la taille des individus. Les conditions d’élevage optimales sont une température de 30°C, un cycle de lumière-noirceur de 12h :12h et une humidité relative de 70%.

 

Avantages

Hermetia illucens est généralement considéré comme un insecte bénéfique et non pas une espèce invasive, puisqu’elle ne mord et ne pique pas, et n’est pas un vecteur de maladie ou de nuisance pour l’humain. De plus, l’adulte est attiré par les odeurs nauséabondes associées aux sites d’alimentation des larves, elle ne se retrouve donc pas habituelle dans les habitations, contrairement à la mouche domestique.

Les risques biologiques d’une installation de gestion des déchets exploitant les mouches soldats noires ne sont pas connus, mais est supposé être du même ordre que ceux associés aux vecteurs de maladies actuels présents dans une décharge.

Les principaux avantages de la mouche soldat noire sont  un cycle de vie rapide, son efficacité de bioconversion et une capacité à consommer un large éventail de matières organiques résiduelles humides.

Les larves sont composées d’environ 40% de protéines et 35% de graisse brute (ces ratios changent avec la composition de la diète). Ces protéines et lipides sont considérés de haute qualité nutritive et peuvent servir à l’alimentation animale (volaille, poissons et porcins). La consommation d’une diète par les larves réduit de 50 à 80% la masse humide du milieu, un avantage considérable dans la gestion des déchets organiques qui doivent par la suite être stockés ou déplacés. Ce qui n’est pas bioconverti par la larve est transformé en frass, un résidu similaire au composte qui est riche en nutriments et en matière organique et qui peut être utilisé comme biofertilisant. Les frass sont aussi bénéfiques aux cultures à cause de leurs activités antifongiques et bactériostatiques.

 

Inconvénients

Bien qu’en générale la mouche soldat noire de présente aucun danger pour la santé humaine, des cas isolés de myiases ont été rapportés. De plus, comme tous les insectes comestibles, la chitine des larves de mouche soldat noire, qui a une composition similaire à la cuticule des crustacés, peut induire une réaction allergique chez les individus sensibles. D’autre part, puisque la larve grandit dans son substrat alimentaire, la présence de pathogènes sur la larve est dépendante de la présence et de l’abondance de ces pathogènes dans le substrat (comme Salmonella ou Escherichia coli). Des mesures d’hygiènes standards sont de mise (traitement à la chaleur).

Comme la mouche soldat noire nécessite une température élevée (30°C) et une humidité relative haute (70%) pour maximiser son développement, les dépenses énergétiques et leur impacts écologiques (surtout lorsque l'élevage se fait dans une optique écoresponsable) associées à un élevage industriel sont non-négligeables. Si les larves ne sont pas alimentées avec des déchets mais plutôt avec des produits neufs, la production peut alors être catégorisée comme une contribution au problèmes du secteur de la production alimentaire et contribuer aux impacts écologiques du secteur plutôt que de les diminuer. De plus, la nécessité d'utiliser des voilières pour la reproduction des adultes peut complexifier les opérations d'élevage.

La mouche soldat noire est inégalée pour sa capacité de bioconversion de substrat très variés d’origine animal ou végétal, et à des stades de décompositions plus ou moins avancés. Cependant, elle n’est pas très bien reçue pour la consommation humaine, puisqu’elle génère un sentiment de dégoût plus important que d’autres espèces (comme le grillon). Elle est donc plus souvent reléguée vers la consommation animale, ce qui réduit sa valeur économique comparativement aux insectes utilisés directement dans l’alimentation humaine. De plus, la larve s’oxyde après sa mort pour prendre une couleur noire qui peut être rebutante, et son goût naturel n’est pas particulièrement attirant.

Larve de mouche soldat noire

La mouche soldat noire s'alimente seulement pendant le stade larvaire qui dure environ 14 jours.

Pupe de mouche soldat noire

Le terme pupe désigne le stade de nymphe spécifiquement pour les diptères.

Mouche soldat noire adulte

Les mouches soldats noires ne s'alimentent plus et vont plutôt utiliser leurs dernières réserves métaboliques emmagasinées pendant la phase larvaire.

Ténébrion meunier (Tenebrio molitor)

Origines

Le ténébrion meunier, souvent plus connu à son stade larvaire sous le nom de vers de farine, est un petit coléoptère cosmopolite. Il appartient à la famille des Tenebrionidae qui comprend environ 20 000 espèces. On lui attribue généralement une origine européenne, malgré qu’il soit désormais présent partout à travers le monde.

Tenebrio molitor est un détritivore et un omnivore qui se nourrit surtout de déchets végétaux, mais peut aussi s’attaquer à de la viande et aux fruits. Dans les élevages, il a tendance à cannibaliser les nymphes.

Biologie (Cycle de vie)

Le ténébrion est aussi un holométabole, sont cycle de vies est donc divisé en quatre stades, soit le stade d’œuf, le stade larvaire, le stade de nymphe et le stade adulte. La femelle creuse dans le substrat pour pondre de 400 à 500 œufs, individuellement ou en petits amas. Les œufs de femelles accouplées vont éclore 4 jours plus tard en conditions optimales de 25-28°C. Les larves vont avoir 9 à 23 mues durant leur développement et atteindre environ 30 mm de long. Le stade larvaire en conditions contrôlées dure environ 57 jours, et jusqu’à 629 jours en nature. Les ténébrions en élevage sont habituellement récoltés vers la fin de ce stade, avant la transformation en nymphe, puisque c’est durant le stade larvaire que le ténébrion accumule de l’énergie (protéines et lipides) qui seront dépensés pour la transformation du stade de nymphe vers l’adulte. La forme de nymphe du ténébrion meunier n’a pas de bouche ou d’anus; à ce stade l’insecte est presque complètement immobile et vulnérable pour une à trois semaines. L’adulte ailé émerge du stade de nymphe avec un exosquelette blanc et mou, qui va durcir et prendre une teinte brune à noire. L’adulte peut vivre jusqu’à trois mois et commence à se reproduire après 3 jours. Les femelles peuvent pondre à plusieurs reprises.

Dans la nature, l’insecte passe l’hiver en stade larvaire, qui peut durer jusqu’à une année si la température est trop basse. Ainsi, le cycle de vie du ténébrion meunier peut prendre quatre mois à deux ans pour être complété. L’ensemble du cycle de vie et des compétences zootechniques du ténébrion meunier sont affectées par les conditions environnementales, comme la température, l’humidité relative, la diète et la densité de population.

Le ténébrion est tolérant aux variations d’humidité relatives, sont développement est optimal entre 60% et 75%. Il est un phototrophe négatif (se cache de la lumière et sort à la noirceur). La photopériode optimale pour les larves est de 14h de lumière et 10 heures de noirceur. Cependant, la pupation est induite par la une photopériode de 12h:12 h lumière/noirceur.

Avantages

Tenebrio molitor est inoffensif pour l’humain. La larve déshydratée est composée en moyenne de 50% de protéines, et 30% de lipides.

Le principal avantage du ténébrion meunier est sa facilité d'élevage. Cet insect nécessite peu d'espace pour sa production et sa reproduction et est aussi tolérant aux conditions environnementales (sécheresse extrême) et aux sources alimentaires variées. L’élevage ne nécessite pas d’apport en eau, puisque l’insecte obtient son eau dans sa diète et dans l’air atmosphérique.

L’élevage de ténébrion meunier a une faible emprunte écologique à cause des ressources limitées nécessaires. Les frass du ténébrion, comme la mouche soldat noire, peuvent être utilisés comme fertilisant organique.

Inconvénients

Le ténébrion meunier est le plus gros insecte ravageur des céréales entières et moulues, en plus d’être un vecteur connu de mycètes pathogènes. Il est aussi un hôte intermédiaire du ténia, le ver solitaire (Hymenolepis diminuta). Tout comme la mouche soldat noire, la larve du ténébrion meunier grandit dans son substrat de croissance. La présence de contaminant dans la larve est donc directement liée à l’abondance de ces contaminants dans le substrat. Comme tous les insectes, le ténébrion meunier peut provoquer une réaction allergique chez les individus allergiques aux crustacés.

Le ténébrion est sensible aux insecticides et aux polluants comme le sélénium. Le ténébrion meunier s’adapte à un moins large éventail de diète. Il est généralement nourri d’aliments secs avec un ajout minimal d’aliments humides. Le ténébrion peut aussi être élevé sur un substrat humide, cependant cela encourage le développement de champignons qui vont faire concurrence aux ténébrions pour consommer le substrat et nuire au développement de l’élevage.

 

L’acceptabilité du ténébrion meunier pour la consommation humaine est meilleure que celle de la mouche soldat noire, mais moindre que le grillon domestique. Actuellement, le ténébrion est produit principalement pour la consommation animale, particulièrement pour les animaux domestiques, et marginalement pour la consommation humaine.

Larve de ténébrion meunier

Les larves de ténébrions meunier sont voraces et peuvent atteindre 30 mm.

Nymphe de ténébrion meunier

Durant le stade de nymphe, les organes se liquéfient sous le cuticule pour se reformer en corps adulte. 

Ténébrion meunier adulte

L'adulte du ténébrion meunier est un scarabé de couleur foncée qui continue à s'alimenter. 

Grillon domestique (Acheta domesticus)

Origines

Le grillon domestique, Acheta domesticus, est originaire d’Asie du Sud-Est. L’intervention humaine a étendu sa distribution partout à travers le monde. Il appartient à la famille des Gryllidae dans l’ordre des orthoptères. Le grillon domestique est omnivore, il consomme des feuilles, des fruits et des insectes morts ou vivants. Il préfère les environnements chaud (30 à 35°C).

Biologie (Cycle de vie)

Le cycle de vie complet des grillons prend deux à trois mois. Les femelles adultes vont déposer leurs œufs dans le sol humide au moyen de leur oviscapte. Les œufs éclosent après 14 jours. Contrairement aux deux autres espèces présentées, le grillon est un hémimétabole, c’est-à-dire qu’il n’a pas de stade larvaire. Les juvéniles (nymphes) naissent directement des œufs et ressemblent à de plus petits adultes sans ailes. Les juvéniles subissent 10 mues successives sur une période de deux semaines avant d’arriver à maturé. L’adulte mesure jusqu’à 21 mm et survit plus d’un mois. Les mâles stridulent (son produit par le frottement de leur ailes) pour attirer les femelles et s’accoupler.

Les conditions optimales d’élevage sont : une température de 29°C, un cycle de 12h:12h lumière/noirceur et une humidité relative d’environ 50%.

Avantages

Les grillons parmi les insectes les plus acceptés pour la consommation humaine. On retrouve depuis déjà plusieurs années dans les commerces des produits variés à base de produits de grillons (barres protéinées, farine, pâtes alimentaires, etc.). Ils sont aussi des produits vivants communs à retrouver dans les boutiques animales pour nourrir les animaux domestiques. Le grillon est souvent décrit comme ayant un goût de noisette, ce qui augmente son attrait pour la consommation humaine.

Inconvénients

Un inconvénient majeur de l'élevage du grillon est que cet insecte est très sensible aux paramètres envionnementaux d'élevage. Les pertes de productions sont une problématique qui peut engendrer des coûts importants. De plus, l'espace de production nécessaire est considérable.

Les grillons sont sensibles à la bactérie pathogène humaine Serratia marcescens, ainsi qu’à plusieurs maladies virales comme la paralysie du criquet et le densovirus. Cependant la barrière inter-espèce limite drastiquement les risques de vecteurs insectes à humain, puisque les virus d’insectes sont incapables d’infecter des lignées de cellules vertébrées à cause de la distance évolutive. Ils sont aussi connus pour faire de la bioaccumulation de cadmium et d’autres métaux lourds. Les risques d'infection d'un élevage pouvant nécessité le sacrifice complet d'une production font parti des risques économiques de l'élevage de grillons.

 

Grillon domestique

À maturité sexuelle, le grillon adulte émet des sons pour manifester sa présence et attirer une partenaire sexuelle.